Chapitre Thank
Trois jours plus tard, le réseau de Paco était démantelé, ses complices sous les verrous et nous avions regagné la France, plus précisément Chartres où le juge Annick Hatouva instruisant l'affaire Mélanie Godemiche venait de convoquer Antoine en tant que témoin principal du meurtre.
Tu la verrais, la juge, tu réviserais ton opinion sur la vétusté de la Justice ! Si ses fafs affichent trente ans, c'est que l'officier de mairie qui l'a enregistrée était beurré au point de lui rajouter, par inadvertance, cinq piges sur l'état civil. Son visage allongé est illuminé par les immenses perles bleues de ses yeux et son corps délié est parfaitement emballé dans un tailleur classe dont la jupe courte met en valeur des cuisses de rêve.
La greffière, en revanche, est une grosse truie coiffée en brosse, avec un cul à six places logé dans un pantalon informe. Le genre de gonzesse qui passe volontiers la tondeuse à gazon dans les slips en dentelle. Un instant, je crains que cette rombiasse fasse tandem avec sa patronne. Mais l'imperceptible frémissement qui agite les nichons de Mme la juge lorsqu'elle balade son regard sur ma pomme me rassure sur l'orthodoxie (bienvenue au barbu, mon pope) de ses mœurs.
Assis à ma droite, Antoine, que j'ai obligé à se fringuer en enfant sage, garde la tête basse, comme un premier communiant essayant de mater sous l'aube de la petite cochonne agenouillée devant lui.
A ma gauche, le commissaire Bernard Roykeau tire une tronche d'un mètre douze.
La juge s'adresse à mézigue en priorité.
— Monsieur le directeur de la Police nationale par intérim, je tiens à vous informer que le commissaire Roykeau, ici présent, a volontairement tardé à me transmettre les éléments de l'enquête susceptibles de mettre en cause votre fils. Je vais à ce propos adresser un rapport circonstancié à monsieur le procureur de la République.
— C'est moi qui ai fait pression sur lui, madame le juge.
— Faux ! rétorque aussitôt Roykeau en vrai mec. J'ai agi de ma propre initiative.
— Je l'ai influencé en lui affirmant que j'étais sûr de l'innocence d'Antoine, insisté-je.
Miss Hatouva est impressionnée par notre solidarité.
— On ne me l'avait encore jamais fait le coup du « c'est pas lui, c'est moi ». Enfin !… Venons-en à l'essentiel.
Elle se tourne vers Antoine et le fixe longuement. Aussi vrai que le dernier orgasme de ta femme coïncide avec la dernière livraison du garçon boucher, je suis prêt à te parier que cette nana en pince aussi fort pour mon fils que pour moi. Le charme juvénile interpelle autant les œstrogènes que la ravageuse maturité. Brad Pitt ou Harrison Ford, même mouillette !
— Comment expliquez-vous la présence de votre casquette sur le lieu du crime ?
Antoine me consulte du regard. D'un battement de cils je lui indique de parler naturel, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, sans haine et sans crainte.
Il obtempère.
— C'est très simple, madame la juge. Mélanie est une amie de longue date. Au cours de la soirée nous avons dansé et flirté ensemble. Je lui ai fixé rendez-vous près du parking de l'entrée, sous le grand saule pleureur.
— Dans quel but ? demande la perfide magistrate.
— De l'emmener faire l'amour dans ma voiture.
— Qu'a-t-elle répondu ?
— Qu'elle avait encore des potes à saluer et qu'elle me rejoindrait une heure après.
— Ensuite ?
— J'ai continué à danser et un peu plus tard je me suis rendu à l'endroit convenu. J'ai patienté quelques minutes en marchant de long en large sur le talus. Et c'est là que j'ai découvert le corps de Mélanie. C'était effroyable…
— Pourquoi vous êtes-vous enfui ?
— J'ai vu un gendarme arriver dans ma direction. J'ai paniqué.
— Et vous avez perdu votre casquette dans votre fuite…
— Je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite. C'est seulement le lendemain que j'ai réalisé.
— Vous êtes rentré à Paris avec votre voiture ?
— Bien sûr.
Annick Hatouva croise les bras sur son bureau.
— Vous aviez bu, ce soir-là ?
— Oui.
— Beaucoup ?
— Trop pour échapper à un contrôle d'alcoolémie, mais pas au point de perdre la raison.
— Vous aviez fumé ?
— Du tabac, uniquement.
— Pas de pilules, pas de coke ?
Antoine remonte ses manches pour dévoiler ses veines sans aucune trace de piqûre.
— Et pas d'héroïne non plus. Je ne me drogue pas, madame la juge, les tests sanguins le prouveront.
— Nous les ferons pratiquer.
Un long silence plane, juste troublé par la greffière qui achève de consigner l'interrogatoire sur son ordinateur.
— Quelque chose vous gêne dans le témoignage d'Antoine, madame la juge ? questionne Roykeau. Il est le fils d'un policier de haut rang et policier lui-même, depuis peu de temps, je vous l'accorde. Mais enfin… rien ne nous permet de douter de sa bonne foi. D'autant qu'il n'a aucun antécédent judiciaire.
Le juge feuillette un dossier et hoche la tête à plusieurs reprises.
— En effet. Pas d'antécédent.
Je lui sais gré de ne faire aucune allusion aux parents biologiques d'Antoine.
— Des tests génétiques sont en cours ? hasardé-je, manière de relancer l'ambiance.
Roykeau opine de son ondulante toison grisonnante qui tant fait ruisseler les muqueuses australes des Chartraines.
— Le légiste a déterminé trois spermes différents sur la victime.
In petto, je me dis que cette Mélanie était un véritable shaker à foutre. Trois fourrettes et un bon coup de techno là-dessus, bonjour le cocktail !
— Nous allons les comparer aux marqueurs ADN des cheveux trouvés dans le bonnet inca, précise le commissaire, et… dans la casquette.
Antoine ne peut s'empêcher de réagir, se dressant d'un bond.
— Ne perdez pas votre temps à analyser mes cheveux ! Je n'ai pas couché avec Mélanie, ce soir-là. Et si je l'avais fait, j'aurais utilisé ça !
Il balance un préservatif sur la table de la jugeasse 15 .
— Mélanie me faisait bander, poursuit mon garnement, s'exaltant quelque trop, mais je ne suis pas débile au point de sauter une fille à risques, comme elle, sans protection !
Le couillon ! Il est en train de se piéger comme un bleu.
— Et vous pensez que ce fait peut servir votre défense ?
— Eh bien…
— Au contraire, enchaîne la jugeonne 16 , ça vous accable !
Mon Antoine se liquéfie comme une glace à la vanille en vacances chez Kadhafi.
— Je ne vois pas en quoi…
— Réfléchissez. Votre égérie copule avec trois hommes au cours de la soirée…
Egérie, copule… Ce sont vraiment des mots de vieille fille branleuse. Il va falloir qu'on la rééduque, cette jugeoune 17 .
En attendant, elle n'est pas décidée à lâcher mon fiston d'une semelle.
— Lorsque vous la retrouvez, continue-t-elle, Mélanie se refuse à vous. L'affront est insupportable…
Cette fois, je décide d'intervenir.
— Alors Antoine, pour se venger, tue la fille, lui arrache utérus et ovaires et taillade les seins. Il est vraiment susceptible ! Mais enfin, madame la juge, regardez-le ! Ce garçon vous paraît-il capable d'une telle monstruosité ? Alors qu'il vient de sortir major de l'école de Police ?
Annick Hatouva demeure imperturbable, tendance butée. Le commissaire Roykeau essaie à son tour de nous venir en aide.
— Je vous rappelle, madame, que mon collègue San-Antonio a recueilli les aveux d'un certain Paco Rodriguez, trafiquant de drogue notoire, qui se trouvait sur les lieux la nuit du crime, et qui a reconnu avoir assassiné Mélanie Godemiche parce qu'elle refusait de lui payer son dû.
La jugeope 18 fait non de la tête.
— Ces aveux ne figurent pas sur le rapport du commissario Manao !
— Parce que c'est à moi que Paco s'est confié.
— Vous pensez vraiment que je vais croire cette fable, commissaire ?
— Non. Mais c'est dommage pour la suite de votre enquête.
Pas impressionnée, Annick Hatouva frappe son bureau du plat de la main pour attirer l'attention de sa greffière broutassière.
— Je décide la mise en examen et l'incarcération immédiate de M. Antoine San-Antonio.
— Junior, précise mon fils, San-Antonio Junior !
*
* *
— Tu ne veux pas me laisser le volant ? demande Roykeau, plus blanc qu'un navet javellisé égaré sur un lit de Chantilly. Tu as l'air nerveux.
J'attaque un virage en épingle à cheveux à plus de cent trente à l'heure. Deux roues de ma bombe se soulèvent et les deux autres mordent le talus.
— Non. Ça me détend, de conduire.
Je contrebraque, enraye un tête-à-queue et évite de justesse une bétaillère qui tient la moitié de la chaussée. Nouveau virage serré et je lève le pied car nous arrivons aux abords du château de la Vieille-Nave. Mon collègue prend le temps de pisser un coup, sa grand-mère lui ayant expliqué qu'il fallait toujours uriner après une grande émotion.
Nicolas Godemiche nous ouvre. Le jeune homme ne paraît pas spécialement joyce de me voir. Et pas davantage de se trouver en présence de Roykeau. De notre précédente rencontre, il conserve un sparadrap sur le tarbouif.
— Bonjour messieurs ?
— Inutile de faire les présentations, tu connais mon confrère de Chartres.
— Vous jouez de malchance, mon père est à Paris pour toute la journée.
— Ça tombe bien, c'est justement toi qu'on vient voir.
Il s'efface comme un tag représentant une grosse bite velue sur le mur d'un couvent de Bénédictines.
— Bon, ben… entrez. Vous voulez boire quelque chose ? dit-il du bout des lèvres.
— C'est plus spontané quand c'est ton vieux qui offre. Merci quand même, on n'a pas soif. En fait, c'est ta cagnotte qui nous intéresse.
La gueule du môme se décompose comme une fillette en vacances chez Troudu, célèbre pédophilosophe belge à qui l'on doit le fameux traité intitulé « Le bonheur est dans le préau ».
— Quelle cagnotte ? Je ne vois pas de quoi vous parlez.
Je me tourne vers Roykeau.
— Qu'est-ce que tu fais, Bernard, quand un de tes subalternes avoine un prévenu ?
— Je lui décerne un blâme.
Je pivote sur mes talons et balance une tarte aussi soudaine que sonore sur la joue gauche de Nicolas.
— Et quand c'est un supérieur ?
— Je trouve ça farce, se marre Roykeau.
— Vous n'avez pas le droit ! rouscaille le fils Godemiche. Je vais porter plainte.
— T'as raison, ricané-je-te-je, on va appeler la police, commissaire Roykeau, siouplaît ?
— C'est à quel sujet ? demande mon collègue en cloquant une mandale de même magnitude à Nicolas, mais sur la joue droite, question de symétrie.
Le type se laisse tomber en geignant sur un fauteuil.
— Je ne comprends pas du tout ce que vous me voulez…
— Combien t'a rapporté la rave-party de l'autre nuit, Nico ? questionné-je, le ton radouci. Sûrement plus de 500.000 pions, puisque c'est la somme que tu as payée cash à Paco pour lui acheter la came.
Cette fois, il vient de piger à qui il a affaire et il me regarde avec autant d'admiration que de crainte. Il hésite encore à parler. Je l'encourage d'une voix plus sucrée qu'une pâtisserie libanaise.
— Roykeau et moi, c'est pas des oreilles qu'on a, mais des passoires. On ne retient que ce qui nous intéresse. Tes petites combines et tes traficotages, on les oubliera si tu n'as rien à voir avec le meurtre de ta cousine. Mais en attendant, on veut tout savoir.
— Je n'ai pas tué Mélanie ! Je vous le jure.
— Si tu le jures… On est obligés de te croire, fait mon Roykeau d'un ton badin en lui expédiant une pichenette de gorille sur le pif.
Illico, le blair convalescent de Nicolas se met à pisser le raisin frais sous son bandage.
Compris la tactique de mon collègue. A partir de maintenant, c'est lui qui joue le méchant dans notre chaud et froid de volaille. A moi le rôle du gentil.
— Mollo, Bernard ! Ce n'est qu'un gamin, après tout.
— Un gamin qui a éventré sa cousine, oui ! Tiens, petite saloperie, prends çui-là ! Et pis çui-là encore !
— C'est pas moi ! C'est pas moi ! hurle Nicolas paniqué sous la grêle de coups (très maîtrisés) qui s'abat sur lui.
Je fais mine de ceinturer Roykeau et de l'entraîner de force à l'écart.
— Ça suffit ! On se calme ! Laisse-moi lui parler.
Mon collègue feint de se soumettre et va s'asseoir près de la cheminée en ronchonnant. Je reviens vers Nicolas et lui tends mon mouchoir pour qu'il tamponne son tarbouif et ses ecchymoses.
— Je suis sûr que tu n'es pour rien dans la mort de Mélanie. Seulement faudrait que tu me donnes des preuves de ta bonne foi. En jouant franco à propos de la dope, par exemple.
Il me jette un regard implorant.
— Qu'est-ce que vous voulez savoir ?
— Tout ce qui concerne tes rapports avec Paco.
— C'est Mélanie qui…
— Ne commence pas à renvoyer la balle à une morte. Sois un homme, Nicolas, assume tes responsabilités et je te promets de t'aider.
Ebranlé par mon ton protecteur, le petit gars décide de vider son sac et me déballe le toutim. Depuis quelques mois, Mélanie participait à l'organisation de rave-parties. L'ecstasy, le crack, la coke circulaient à tout-va, mais sa cousine n'engrangeait pas une thune, tout en prenant un max de risques. Le soir de la fiesta qui se déroulait sur leurs terres communes, elle s'est retrouvée avec une dette de 500.000 francs envers son fournisseur. Elle était incapable de payer. Paco s'est fâché et Mélanie a demandé à son grand cousin de lui venir en aide. Alors il a banqué. Mais il jure ses grands dieux qu'il n'est pas un dealer. Il n'a fait aucun bénéfice, et a juste dépanné Mélanie. Il réaffirme n'avoir jamais vu ce Paco avant la nuit tragique (sic), ce que je suis tenté d'admettre, vu que le Balafré semblait effectivement ne pas connaître le cousin qui lui avait remis le fric…
— Et où as-tu trouvé une somme pareille en liquide, Tête-de-nœud ? questionne Roykeau, reprenant du service.
— Ben… C'est pas facile à dire.
— Je sais, lui soufflé-je, pensant fortement à mon Antoine sous les verrous, les conneries, c'est plus facile à faire qu'à raconter.
— En fait, j'ai piqué le fric à mon père.
— Où ça ? gronde le commissaire de Chartres.
— Dans son coffre. Je savais qu'il avait un magot.
— Et ton père ne s'est aperçu de rien ?
Nicolas est plus mal à l'aise qu'un mec qui vient de chier dans son beau pantalon beige, gants beurre frais et bouquet à la main, juste au moment où rapplique le père de sa future fiancée.
— Si. Mais je lui ai fait croire à un cambriolage. Papa était absent, ce soir-là.
— Raconte. On adore les détails.
— J'ai cassé un carreau de la porte-fenêtre et abandonné le coffre entrouvert en laissant traîner un gant de chirurgien et un stéthoscope.
Je tique fortissimo.
— Tu as souvent un gant de chirurgien et un stéthoscope sur toi ?
— Mélanie me les a fournis. Paraît que c'est le matériel qu'utilisent les professionnels.
— Dans les bouquins d'Agatha Christie, peut-être, objecte Roykeau.
Dans ma grosse tronche, je me dis que la môme Mélanie avait bien préparé son coup pour faire carmer son cousin avec l'oseille de son oncle. Et ça signifie quoi, Eloi ? Qu'elle avait barre sur Nicolas. Qu'elle le tenait d'une manière ou d'une autre. Mais ce n'est pas cet aspect des choses qui me préoccupe en priorité.
— Ton père n'a pas porté plainte ? demandé-je.
— Non, admet le jeune homme.
— Pourquoi ?
— Je n'en sais rien.
Ce serait intéressant de poser la question à ce bon Jacquemart-André, qu'en penses-tu, Lulu ? Le sieur Godemiche se trouvant présentement au salon de la machine-à-bricole, porte de Versailles, le plus simple est de lui téléphoner sur son portable. Ce que je, après avoir soutiré son numéro à Nicolas. Je tombe sur sa ménagerie vocable (expression signée Béru) et lui demande de me joindre au plus tôt à la Vieille-Nave.
Je gamberge à toute vibure. On ne va pas se faire cuire une soupe en attendant que le vieux péquenot nous rappelle, non ? D'autant que je flaire son fiston mûr à souhait pour de brillantes confessions.
— Bon ! On va faire une perquise ! décidé-je tout à trac.
Je remarque dans les yeux de Nicolas un éclair de panique qui m'incite à pousser mon avantage. Je ne sais pas ce qu'il cherche à cacher, mais je te jure sur la vie de la concierge de la nièce de ta belle-mère qu'il planque un truc dans cette casbah.
Cette certitude attise mon nez de pointeur.
— On fouille tout ! De la cave au grenier !
— Vous avez un mandat ? s'insurge le garnement.
— Tu ne préférerais pas une mandale ? réponds-je, en brandissant à son encontre une dextre vindicative, comme l'écriraient certains de mes confrères que je ne dénoncerai pas afin de leur épargner une élection prématurée à l'Epidémie Française.
Roykeau qui a pigé la manœuvre décroche le téléphone, un drôle de rictus aux lèvres.
— Bonne idée, la perquisition ! J'appelle des renforts.
Nicolas bondit et coupe la communication.
— Attendez ! Pas la peine d'ameuter la garde. Je sais pourquoi mon père n'a pas porté plainte.
— Précise ! le harcèle Bernard.
— C'est à cause des documents qu'il garde dans son coffre.
— Il est où ce coffre ?
— Dans la penderie de ma chambre.
— De ta chambre ?
— Avant, c'était la chambre de mes parents, mais depuis le décès de ma mère, papa s'est installé dans la chambre d'amis. Il ne supportait plus la pièce où maman était morte. Au contraire, moi, j'ai l'impression de la retrouver et de communiquer avec elle.
On ne s'attarde pas en larmoiements. On grimpe de conserve à l'étage, investit la piaule de Nicolas, vire quelques fringues de sa penderie et découvre le Fichet-Bauche.
— C'est quoi, le code ?
— I.3.0.4. Maman est morte le 13 avril dernier.
Je tourne les molettes et déclenche l'ouverture du coffre. A l'intérieur, je ne déniche que douze mille francs, une poignée de louis d'or, trois montres suisses et un dossier médical accompagné de quelques clichés représentant une jolie femme d'une cinquantaine d'années. Je montre les photos à Nicolas.
— Ta mère ?
— Elle était belle, n'est-ce pas ?
— Beaucoup d'allure, en effet. Mais je ne vois pas les documents annoncés ?
— Dans un double-fond que mon père a bricolé. Vous permettez ?
Il plonge à son tour la main dans le coffre et la ressort presque aussitôt prolongée d'un Magnum 357 qu'il braque sur nous avec une promptitude dont je ne le soupçonnais pas capable. Comme son calibre pourrait traverser un char Patton avec David Douillet à l'intérieur, je m'empresse d'attraper le plafond avec les paluches. Roykeau obtempère avec autant de docilité. Dans l'état de fébrilité où il se trouve, ce jeunot n'hésiterait pas à nous arroser. Je sais lire la détermination dans la prunelle d'un individu. D'autant que je suis sorti aussi nu que le jour de ma naissance, c'est-à-dire sans flingue.
— Méfiez-vous, les duettistes ! glapit-il. J'ai failli faire partie de l'équipe olympique de tir. Je peux vous perforer les trous de nez sans toucher les narines !
Nicolas recule jusqu'à une commode dont il ouvre un tiroir sans cesser de nous tenir en respect. Il y récupère une épaisse enveloppe qu'il glisse à l'intérieur de son blouson.
Croyant déceler chez le fils Godemiche un instant d'inattention, Bernard Roykeau plonge la main sous son aisselle et sort son arme de service.
Plus vif encore que Jessie James multipliée par Billy-the-Kid, le jeune homme tire et le pétard saute de la pogne de mon collègue. Roykeau pousse un hurlement de douleur et s'écroule, la main droite ensanglantée.
— Je vous avais prévenus ! beugle Nicolas, au bord de l'hystérie.
Pour me dissuader de toute intervention, il balance le potage dans ma direction. Chaque bastos me rase de frais sans me blesser. Manifestement, cet enfoiré sait se servir d'une pétoire. Je plonge derrière le plumard pour me faire oublier. La porte claque façon vaudeville. Sitôt acquise la certitude que le tireur a quitté la pièce, je me précipite vers mon pote.
Le commissaire comprime de sa main gauche son poignet droit d'où le sang gicle dru.
— Ça va aller, Bernard ? m'inquiété-je.
— L'enculé ! Il m'a niqué la pogne…
Rassuré sur sa longévité potentielle, je ramasse son pistolet, ouvre la fenêtre et vise Nicolas qui cavale en direction d'un 4 × 4 japonais conçu pour faire le Paris-Dakar dans ton massif de bégonias.
Pas de pitié, je vais le flinguer aux pattes, ce petit gland. Je presse la détente, mais macache bono ! La balle du 357 a défoncé le magasin et le calibre de Roykeau affiche relâche. A l'instant présent, ce pétard m'est un peu moins utile qu'un pot de rillettes sans listeria.
Nicolas démarre son engin et se barre en virant la moitié des gravillons de la cour. Je sais que ce petit couillon n'ira pas loin, alors je m'occupe de mon collègue et appelle le SAMU. Puis je lance un avis d'interception contre le véhicule du fuyard.
J'ai à peine raccroché que le bigophone grésille. C'est Jacquemart-André qui rappelle suite à mon message.
— Tu as essayé de me joindre, San-A. Qu'est-ce que tu fous chez moi ?
Selon ma bonne vieille habitude, je réponds par une autre question.
— Ton coffre a été forcé, le soir de la rave-party ?
— C'est Nicolas qui t'a raconté ça ?
— Pourquoi n'as-tu pas porté plainte ?
Le père Godemiche n'étant pas la moitié d'un naveton cesse le petit jeu des questions sans réponses.
— Ma nièce assassinée dans la même nuit, j'ai pensé que les flics avaient mieux à faire que d'enquêter sur un cambriolage, surtout pour des peanuts…
— 500.000 francs, tu trouves que c'est des cacahuètes ?
Comprenant que j'en sais plus qu'il ne veut bien me le dire Jacquemart lâche du lest.
— Ecoute, Tonio… Tu ne travailles pas pour le ministère des finances. Tu ne vas pas me balancer aux polyvalents ? Alors à toi je peux l'avouer, ce pognon c'était des éconocroques qui avaient légèrement échappé au fisc…
Son ton est moins convaincant que celui d'un avocat défendant la liberté d'expression des femmes dans une république islamique. Je le contre aussitôt.
— Pas tant de salades, mon vieux. Je connais le turbin des agriculteurs d'aujourd'hui. Avec toutes les réglementations de Bruxelles, vous êtes dans l'impossibilité de détourner trois centimes. A moins que tu ne vendes ton maïs sur les marchés ?
Un long silence s'écoule avant que mon terlocuteur ne réplique.
— Tu veux que je te dise quoi ?
— La vérité. C'est-à-dire que tu as tout de suite compris que c'était ton fils qui avait engourdi le pognon.
— C'est vrai que j'y ai pensé, admet Godemiche father au bout de son portable.
J'enchaîne aussitôt.
— Il est à toi le 357 planqué dans ton Fichet ?
Cette fois, Jacquemart-André renifle la vraie daube.
— Oui, c'est à moi. Je le cachais dans un double-fond pour me défendre le jour où un zigoto m'obligerait à ouvrir mon coffre.
— Aujourd'hui, le zigoto, c'est moi.
Jacquemart pousse un rugissement.
— Nicolas n'a pas fait de connerie, au moins ?
— Non. Il a simplement tiré sur un commissaire de police.
*
* *
Roykeau est à l'hosto, hémorragie endiguée. Certes, il n'est pas près de jouer un concerto à quatre mains, mais il pourra encore se pignoler de la main gauche.
La jugesse 19 Annick Hatouva a estimé que le comportement de Nicolas Godemiche prouvait sans doute sa culpabilité dans une affaire de deal. C'était de l'argent ou de la drogue qu'il avait embarqué. Mais cela ne constituait en aucun cas un élément susceptible de lui faire prononcer la libération d'Antoine.
Je lui ai remis mon mouchoir imbibé du sang de Nicolas en lui conseillant de le faire participer à la tombola génétique. J'ai ajouté qu'un jour ou l'autre ma bite rencontrerait sa chatte. Elle ne m'a pas démenti. Et je suis rentré sur Paris, le cœur meurtri, l'honneur bafoué, l'âme démantelée. Un être me manquait en cette circonstance. Le plus rustique d'entre tous.